La psychanalyse a été fondée par Freud dans une double articulation théorico-clinique. C’est le travail auprès d’hystériques, qui a amené Freud à la théorie psychanalytique. Par la suite, son expérience et l’expérience de ses successeurs sont venues enrichir les théories psychanalytiques. En ce qui concerne le concept de sublimation, il est né à la lueur d’une tentative de compréhension, de description des mécanismes psychiques sous-jacents aux phénomènes de créations. Ce concept est donc né du désir de savoir et du travail de recherche d’un homme, créateur de la métapsychologie.  

 

Dans cette dynamique de recherche, l’intérêt suscité autour de la sublimation ne se ferra pas uniquement d’un point de vue théorique. La clinique venant interroger les concepts et parfois en susciter de nouveaux. 

Cette capacité de transformation pulsionnelle pourra trouver un éclairage particulier avec la clinique du vieillissement notamment.

 

En maison de retraite, comme le nom l’indique, les personnes sont à la retraite. Elles n’ont donc plus d’activité professionnelle. Leur vie sexuelle normale est elle aussi en retraite pourrait-on dire. Dès lors, l’énergie libidinale prend d’autres voies. Comme pour les personnes en activité, la maladie ou les symptômes peuvent être une voie de décharge de cette énergie pulsionnelle. La satisfaction sexuelle sous le primat des zones érogènes, lié à la sexualité prégénitale peut en être une aussi. Mais nous allons nous centrer, ici, sur une pathologie particulièrement associée à la vieillesse : La démence.

 

Suite à l’exposé précédent, qui tend à montrer un essor sublimatoire chez une personne centenaire, nous allons nous intéresser à cette question du désaliage pulsionnel dont parle Freud en ce qui concerne la sublimation. Freud évoque le fait que la pulsion se désexualise pour revenir sur le moi et être utilisé pour d’autre but et pouvoir emprunter notamment la voie sublimatoire. Mais ce désaliage pulsionnel offre une liberté à la pulsion de mort. En effet, la pulsion de mort œuvre au travail de la déliaison. Elle est elle-même lié à la pulsion de vie, qui la régule. Le moi, en reprenant à son compte la libido et en la désexualisant, se mettrait au service de la pulsion de mort. Ceci n’est pas le cas uniquement dans la sublimation. Freud tend à dire que cette énergie reprise par le moi peut être utilisée à des fins sublimatoire mais cela n’est pas assuré. Dès lors cette énergie désexualisée engendrerait un désaliage pulsionnel, qui concernerait la pulsion de vie et la pulsion de mort. Cette dernière serait libre d’œuvrer au sein du psychisme.

 

Qu’en est-il de la personne âgée. L’avancée en âge s’accompagne de pertes. La perte d’un travail dans lequel on avait porté tout notre investissement, la perte des êtres chers, la perte de son autonomie, et cetera. Ne pourrait-on postuler le fait que ces pertes engendreraient un repli sur soi ? Un désinvestissement du monde objectal.

On parle souvent de dépression pour les personnes âgées, d’un repli sur soi, dû à la frustration que suscite le monde extérieur. Dans ce contexte, ce que Freud avance concernant la reprise de la libido par le moi en la désexualisant, a son importance. Ce retrait de la libido du monde objectal, qui n’est plus source de satisfaction, pourrait être une voie de réflexion concernant la vie psychique de la personne âgée. Mais alors quid de la pulsion de mort ?

 

Sans faire de lien étiologique, il convient de s’intéresser à la démence. Nous préciserons tout de même que si les études sur la démence (de type Alzheimer ou sénile) évoluent, la cause de cette pathologie n’est pas encore connue. L’étude cérébrale permet d’identifier une évolution des lésions mais pas leur cause. Et dans certains cas, des lésions apparaissent sans qu’il y ait de troubles. Une hypothèse de recherche pourrait donc émerger de ce questionnement de Freud concernant le désaliage pulsionnel et l’action se la pulsion de mort hors de contrôle de la pulsion de vie, et la désorganisation psychique semblant œuvrer dans la psyché démentielle. Ce que l’on peut observer chez les patients déments, c’est qu’au début de la maladie commence les troubles de la mémoire. La dépression étant associée au tableau démentiel. Il y a un retrait des personnes du monde objectal.

Cette pathologie semble attaquer les liens avec les objets mais aussi les liens intrapsychiques. Au niveau psychique, il semble qu’il y ait ce que Freud appel le reflux de la pulsion de mort sur le moi, avec une désorganisation progressive. Avec la démence, qui est une pathologie dégénérative, l’observation mène à la destruction du sujet. La finalité de cette pathologie est l’état « grabataire », qui s’apparente à cet état « anorganique » dont parle Freud. Les personnes sont allongées dans leur lit sans mouvement, sans tension.

 

Avec la démence, il semble que « le bruit de la vie » ne se fasse plus entendre. En effet, la tension produite par Eros et les pulsions sexuelles ne semblent plus présentent. Peut-on voir dans cette pathologie une des conséquences du désaliage pulsionnel, du reflux d’une libido désexualisé sur le moi, qui n’aura pu trouver d’autre voie de décharge ? 

 

 

Freud a ouvert une voie de recherche qui, aujourd’hui encore, alimente les questionnements. La clinique enrichie les concepts freudiens, elle en suscite de nouveaux, ou elle vient les relire dans des champs que Freud avait mis de côté.

Le concept de sublimation s’est complexifié au fil de la réflexion freudienne. Au-delà de cette utilisation de la libido pour des buts plus élevés et socialement reconnu, la sublimation a ouvert des voies qui n’ont pas livré toutes leurs ramifications. Ainsi, la question du désaliage pulsionnel paraît pouvoir donner une voie explicative à une pathologie encore peu connue scientifiquement et qui vient attaquer le travail de pensée par cette désorganisation, cette destruction psychique qu’elle donne à voir. Ne pas se laisser fasciner comme Freud ne s’est pas laissé berner par la poudre aux yeux, que lui lançaient les hystériques, afin de pouvoir ouvrir de nouvelle voie de recherche. Le vieillissement semble être une de ces nouvelles voies à l’heure ou la démographie fait des vieux l’avenir de l’homme.