Les Ecrits 

Jacques Lacan

 

 

  

« Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélé dans l’expérience psychanalytique », 17 juillet 1949.

 

Lacan reprend l’idée centrale du stade du miroir à savoir qu’il s’agit d’une identification – « La transformation produite chez le sujet, quand il assume une image »[5]. Mais cette identification préfigure imaginairement un vécu qui n’est pas encore car l’infans se vit comme morcellé. Cela signe la dimension aliénante de l’identification dans le même temps que son sceau de faire tenir l’être. Toute la tension dramatique réside dans le fait que le je n’est pas tout à fait ce moi imaginaire. Dans le même temps que l’être s’identifie au champ humain, au champ de son semblable la tension agressive, « la jalousie primordiale »[6] émerge. L’importance du stade du miroir est aussi cette mise en exergue que cette opération d’identification, cette constitution de la fonction du Je, passe par le désir de l’autre (l’adulte qui nomme).

 

 

 

 

« L’agressivité en psychanalyse », 1948.

 

Il est question dans ce texte de l’agressivité dont on peut en appréhender des manifestations dans la clinique nous dit Lacan et il reprend : les suspensions, les hésitations, les inflexions et les lapsus, les inexactitudes du récit, le fait de ne pas suivre la règle de la cure, les retards aux séances, les absences calculées, et cetera[7].

 

Il écrit aussi que « l’agressivité intentionnelle » conduit à la mort après un parcours de souffrance. L’invention de Freud, si le dialogue constitue une renonciation à l’agressivité, est de guérir par le dialogue. En effet, les conflits actuels ne le sont que par refus de dialogue et muée par une dynamique destructrice.  Voici ce qui est ajouté dans la psychanalyse pour qu’elle guérisse, selon le terme de Lacan : « La règle proposée au patient dans l’analyse le laisse s’avancer dans une intentionnalité aveugle à toute autre fin que sa libération d’un mal ou d’une ignorance dont il ne connait même pas les limites »[8].

 

L’intention agressive est plus difficile à dénouer dans la névrose obsessionnelle, nous dit-il, du fait de la structure qui a pour propre de camoufler l’intention agressive.

 

Si la cure permet d’éveiller l’agressivité de l’être en lien aux premières relations en le responsabiliser et non culpabiliser, Lacan précise l’importance de ne pas éveiller une agressivité dans l’actuelle de la situation de la cure mais bien de se décaler de la relation imaginaire ou des mouvements agressifs peuvent se rejouer dans le transfert. Si un appui est accroché sur l’actuelle de notre personne, il peut y avoir alors abandon. C’est ici que réside toute la difficulté du règlement des séances manquées me semble-t-il qui sont le substrat de nombreux abandons (passage à l’acte).  

 

L’agressivité est au fondement de la constitution du Moi. « L’agressivité est la tendance corrélative d’un mode d’identification que nous appelons narcissique »[9].

Chaque identification est teintée d’agressivité dans sa composante aliénante. C’est d’ailleurs ce qui est si bien mis en lumière par Lacan avec le stade du miroir.

 

 

 

 

« Propos sur la causalité psychique »,28 septembre 1946. 

 

Le moi est à comprendre « dans sa structure imaginaire et dans sa valeur libidinale »[10].

Concernant le nœud imaginaire de la tendance au suicide narcissique, Lacan fait lien entre l’ « instinct de mort ou encore masochisme primordial » et « la phase de misère originelle »[11] – Hilflosigkeit. Cette dépendance absolue du petit d’homme. Avant d’être pensé, l’instinct de mort concerne le champ de l’éprouvé. Cette misère étant revécu lors des renoncements ultérieurs. Certains être se pousse dans cette direction d’éprouver cet état de détresse et je ne suis pas sûre que ce soit le propre d’une structure mais plutôt l’effet de la pulsion de mort.

Cela fait aussi un parallèle avec ce qu’il dit dans son intervention où il reprend le stade du miroir lors de laquelle il parle d’une « relation évidente de la libido narcissique à la fonction aliénante du je, à l’agressivité qui s’en dégage dans toute relation à l’autre ». Cette expérience touchant à ce moment de l’ Hilflosigkeit puisque l’infans y est en plein et sa détresse tranche d’avec ce qu’il voit dans le miroir.

 

 

 

 

« Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie », 29 mai 1950.

 

Chaque nouvelle crise (sevrage, œdipe, puberté…) est l’occasion d’une nouvelle modification du moi pour dépasser la crise avec une refonte toujours plus aliénante nous dit Lacan car toujours plus frustrante pour les pulsions et toujours plus teinté d’agressivité. Mais la frustration pulsionnelle ne suffit pas à expliquer le développement d’agressivité mais l’explication est à trouver avec cette notion introduite par Freud de « l’instinct de mort » qui est du champ de la pulsion du moi avec la déliaison pulsionnel EROS et THANATOS[12].

 

 

L’accent est mis sur l’ignorance, le champ de la répression, de censure, qui définit les limites du Moi. Aussi dans la cure Lacan écrit que ce n’est pas tant le contenu de ce qui était refoulé et qui refait surface qui est garant de l’efficacité de la cure mais davantage le fait même qu’il y ait une reconquête de ce qui était refoulé. L’ignorance est réduite[13].

 

 

 


 

« La lettre volée », séminaire mi-mai/mi-aout 1956.

 

Lacan énonce sa visée d’illustrer l’automatisme de répétition dégagé par Freud. L’intérêt se porte sur « la façon dont les sujets se relaient dans leur déplacement au cours de la répétition intersubjective »[1]. Déplacement déterminé par le signifiant la lettre volée. Ce que Lacan illustre du texte de Freud sur l’automatisme de répétition, qu’il commente à l’aide de cette nouvelle de Poe, « c’est que le sujet suit la filière du symbolique. […] le déplacement du signifiant détermine les sujets dans leurs actes, dans leur destin, dans leur refus… ».[2] Et la lettre volée est ce signifiant « n’étant de par sa nature symbole que d’une absence ».

Ce qui est intéressant dit Lacan est le non-usage précisément de la lettre car la lettre confère au personnage qui la détient un ascendant sur les autres. Cette lettre est mise en modèle du signifiant aussi dans le sens que la lettre le ministre la détient mais il ne s’en sert pas, il l’oublie mais cet oubli n’est pas plus oubli que l’inconscient du névrosé, dans un parallèle que fait Lacan. La lettre transforme le ministre c’est ici le point de parallèle avec le névrosé qui lui-même est transformé par des signifiants inconscients. C’est l’effet de signifiant, ou l’effet de l’inconscient. « L’inconscient, c’est que l’homme soit habité par le signifiant »[3]. La lettre volée comme exemple du signifiant, qui produit un effet sur l’être, effet d’être traversé par le langage et donc l’inconscient[4].

 

 

 

[1] Page 16.

[2] Page 30.

[3] Page 35.

[4] Page 56.

[5] Page 93.

[6] Page97.

[7] Page 102-103.

[8] Page 105.

[9] Page 109.

[10] Page 177.

[11] Page 186.

[12] Page 141.

[13] Page 143.