Dès l’origine, Freud parle de création même s’il ne le nomme pas forcément ainsi. Au début l’être humain, le tout petit ne vit que pour satisfaire ses besoins fondamentaux. Son entourage, sans qui il ne pourrait pas vivre, est là pour les satisfaire. Freud parle du principe de plaisir[1] et déplaisir qui régit alors la vie du tout petit comme recherche de cet état. Un autre bienveillant est là pour répondre à ses besoins. Ce, sans qu’il distingue qu’il y ait de l’autre. Le tout petit ne discrimine pas les objets de lui-même. Il est dans un état où ce qu’il connait est la tension, qui est apaisée par la satisfaction du besoin. Donc le principe de plaisir et de déplaisir domine.
Dès le début, l’importance de l’autre est, même si le tout petit n’en a pas conscience. C’est grâce à la bienveillance d’un autre être humain que la vie est possible et ces expériences aussi. Dans le cas de défaillance de l’environnement pour des raisons qui peuvent être variables et bien cela inscrit dès l’origine des failles en ce point. Point de la confiance, d’un sentiment de sécurité par rapport à la possibilité de faire des expériences. Point qui pourra être ultérieurement à dénouer dans le champ thérapeutique.
Pour revenir à ce tout petit, Freud précise que dès qu’il a faim, le sein apparait. Et en l’absence du sein, cela va ouvrir la voie vers l’hallucination. L’infans, en tant que l’enfant d’avant le langage, va halluciner le sein avant qu’il ne lui soit proposé afin de réduire la tension et donc le déplaisir et rechercher le plaisir par cette voie de satisfaction hallucinatoire. Mais cela ne va pas fonctionner pleinement car au bout d’un temps cette hallucination du sein qui apaise ne va pas jouer pleinement son rôle car la faim demeure et donc le déplaisir aussi. Et bien c’est de cette frustration que le tout petit va être amené à considérer la réalité et à porter son attention vers le monde extérieur, par ses organes sensoriels, pour essayer d’avoir une action sur celui-ci, ayant pour but sous-jacent le gain de plaisir. C’est ce que Freud nomme principe de réalité. Un point important ici est que la connexion au monde qui l’entoure se fait par une tentative de création, l’hallucination, qui témoigne des processus de pensée du tout petit, sur un mode premier en effet. Freud parle d’ailleurs des processus primaires mais cela témoigne de ce que les processus créatifs vont amener l’enfant à prendre conscience du monde qui l’entoure et interagir avec. Ainsi, le point de contact entre le monde intérieur du tout petit et le monde extérieur va être le corps, par le biais de ces organes sensoriels. Le principe de réalité est le principe qui orientera le Moi. Le Moi va en effet suivre le principe de réalité pour pouvoir agir sur son environnement. Cela il aura à le faire en tentant de satisfaire ses pulsions et ça n’est pas une mince affaire.
Cette reprise permet de témoigner que le processus de penser est dès l’origine lié à la question de l’absence. Penser c’est penser l’objet absent. Cela implique qu’il est nécessaire que l’objet ait été présent. Cela passe par la présence de la mère ou un substitut maternel, un autre secourable pour le tout petit, qui est en état de dépendance totale. Mais à cette période est-il pertinent de parler d’objet car la distinction entre moi et non moi n’est pas formée. C’est justement au fil de ces expériences que le nourrisson va construire cette représentation qu’est le sein. Au début il n’y a pas de sujet ou d’objet mais de ces expériences de frustration, le tout petit va pouvoir commencer à organiser le monde entre moi et non-moi. Les objets apparaissent et la relation à ces objets aussi.
Tout ceci est important pour la question de la médiation artistique car la médiation artistique rejoue cette question de la relation à l’objet, avec tout ce bagage qui se réactive et va pouvoir se travailler.
M. Klein a posé des bases qui vont nous intéresser par rapport à la relation précoce à l’objet et aux activités mentales.
Pour reprendre de manière synthétique ce qu’elle a pu développer, au début l’enfant ne conçoit pas sa mère comme un objet total, comme une personne unifiée mais il la clive. Lors de la tétée, l’enfant n’a de relation qu’avec l’objet partiel qu’est le sein et ce sein est clivé en bon et mauvais objet. Bon objet quand le sein lui apporte la réduction de la tension, qui produit du déplaisir. Et mauvais objet lorsque le sein est frustrant. Lorsque l’enfant va avoir une perception unifiée du sein il va y avoir la crainte de l’avoir détruit ou abîmé par ses attaques et une culpabilité associée. Ainsi, M. Klein parle pour la première phase de la position schizo-paranoïde du fait des mécanismes de défenses utilisés. Puis, pour la seconde période, de la position dépressive.
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Lors de la position schizo-paranoïde, M. Klein va évoquer quelque chose d’important pour la maturation de l’être. Elle reprend le mécanisme de projection et d’introjection. Ainsi, le mauvais en soi serait projeté sur l’objet et le bon introjecté dans quelque chose qui inaugurera le Moi futur. Ainsi, cela introduit une qualité dans la relation à l’objet et une différenciation fine entre sujet et objet, des qualités pouvant passer de l’un à l’autre. Moi et non-moi s’esquisse progressivement.
Cela va avoir une importance dans la manière de considérer l’objet lors de la médiation. Dans la relation à l’objet, il y a une qualité qui est à entendre et cela s’énonce aussi chez Freud avec la question du narcissisme, sur laquelle nous prendrons un temps tout à l’heure.
Ces positions par rapport à l’objet permettent d’entendre quelque chose de la maturation de l’enfant mais elles permettent aussi d’ouvrir une voie d’entendement de la relation particulière à l’objet, que peuvent avoir des personnes que nous rencontrons lors d’activités à médiation. La relation à l’objet possède une trace teintée de projection, d’introjection, ou encore de culpabilité. Sur l’objet médiateur vont être projetés des éléments appartenant à la vie psychique interne, propre au sujet.
La question du recours à la méditation suppose donc une actualisation des mouvements psychiques internes mais aussi la dimension corporelle, le recours au corps, à l’activité motrice.
Je vais à nouveau prendre un exemple chez Freud, celui du Fort/Da (loin – près ou là – pas là) ou le jeu de la bobine.
Là nous ne situons plus au niveau seul de la pensée mais celui de l’acte. Nous sommes en plein dans la question de la médiation. Il s’agit de l’observation d’un enfant (son petit fils de un an et demi), qui joue avec une bobine attachée par une ficelle. Il la ramène à lui puis la jette et ainsi de suite. Une autre répétition est celle du langage qui est présent dans ce jeu. Il y a le « o-o-o » quand il la lance la bobine puis le « Da » quand il la ramène à lui. Par ce jeu, l’enfant va symboliser l’absence de l’autre, de la mère en l’occurrence. Et Freud en raison de l’importance de la verbalisation dans ce jeu pour élaborer la situation, va le nommer « Fort – Da », des signifiants repérés, ce qui peut se traduire par loin –près.
On entend bien ici que cette répétition a cela de particulier qu’elle sert la symbolisation. Elle est là pour permettre l’élaboration d’une situation complexe, l’absence de la mère. La répétition se fait jusqu’à ce que le tissage de l’élaboration soit suffisamment solide pour qu’il soit possible de passer à quelque chose d’autre car cela est intériorisé.
Dans le jeu, la bobine représente la mère et l’enfant rejoue l’absence présence de la mère en étant acteur de ce va et vient et non plus passif, avec la dimension de plaisir du fait de cette maitrise[2].
Nous avons là l’utilisation d’une médiation pourrait-on dire à but thérapeutique. Voici l’un des recours d’une médiation, d’un objet médiateur, pour pouvoir élaborer une situation potentiellement traumatique – la perte de l’objet ; de la mère-. Dans ce prototype pourrait-on dire, le langage joue un rôle très important comme cela est le cas dans le cadre du recours aux médiations artistiques, où le langage a la fonction d’accompagner le travail. Là je parle du langage du professionnel, de sa mise en mot de ce qu’il peut entendre de ce qui ce joue dans le cadre de l’activité.
Aussi, la médiation a à voir avec un processus de symbolisation, symboliser ce qui produit une source de souffrance psychique et c’est précisément tout le travail de la psychanalyse. La médiation peut jouer un rôle d’étayage dans ce travail en utilisant un support afin que puissent se dénouer des failles, des nœuds que l’on peut voir ou entendre dans l’expression que sont les symptômes, partie émerger de quelque chose qui fait souffrir.
Winnicott a ouvert une voie un peu différente de celle de Freud. Avec Winnicott, l’œuvre devient un objet transitionnel. Objet intermédiaire entre la vie psychique du sujet, sa vie interne, et la réalité extérieur, la réalité perceptive avec les objets matériels extérieurs.
Pour Winnicott, à l’arrivée du nourrisson, la mère est dans un état tout à fait particulier qu’il nomme préoccupation maternelle primaire. Ceci introduit une relation d’illusion du nourrisson à sa mère. Dans la lignée de ce que nous avons vu avec Freud tout à l’heure, au moment où l’enfant s’apprêterait à créer le sein pour soulager le déplaisir, la mère le lui présenterait. Elle serait dans une hypersensibilité aux besoins de son enfant, les devançant même. D’où l’illusion dans laquelle l’enfant est plongé, d’avoir ce qu’il désir pourrait-on dire. Tout ceci étant important pour son développement bien sûr. Par la suite, la mère introduirait progressivement la frustration. C’est que Winnicott appelle la mère suffisamment bonne. Donc il s’en suit une période de désillusion.
Quand l’enfant va commencer à percevoir la mère comme objet distinct de lui, il va y avoir une angoisse, liée à sa dépendance vis-à-vis de cette dernière. Ici Winnicott fait intervenir les phénomènes transitionnels (entre 4 et 12 mois).
Il s’agit de choix d’objets transitionnels, qui permettront de faire le passage entre la première relation à la mère à une relation objectale véritable. Ces objets sont donc des objets choisis par le nourrisson. Ce fameux doudou que les parents prennent soin d’acheter très beau et qui fini tout usé ou alors qui est délaissé au profit d’un bout de tissu ou d’une couverture ou tout autre objet, qui aura pour qualité d’avoir été choisi par l’enfant, d’être investit par lui.
L’existence des phénomènes transitionnels sont fonctions des enfants.
Ces objets transitionnels permettent à l’enfant de lutter contre ses angoisses, notamment les angoisses dépressives, comme nous l’avons vu tout à l’heure avec M. Klein, en gardant un sentiment de contrôle sur l’objet substitut, objet substitut de la mère.
Cet apport de Winnicott peut être un outil de penser lors du travail avec l’outil de la médiation artistique. L’atelier ou l’activité comme air transitionnel où quelque chose d’expériences angoissantes pour un sujet peuvent être travaillées via un objet transitionnel, qui représenterait en partie le premier objet.
Que ce soit avec Freud et le jeu de la bobine ou avec Winnicott, ce que nous pouvons entendre est cette question d’espace transitionnel où l’enfant va pouvoir appréhender le monde qui l’entoure et les expériences qu’il aura à vivre et qui sont en lien avec des éprouvés affectifs. L’espace du jeu et le recours à des objets transitionnels ou des objets symbolisant les parents par exemple vont permettre à l’enfant de jouer des scènes potentiellement traumatiques afin de les élaborer mais surtout de mieux les appréhender. Ainsi, cette possible symbolisation, mise en symbole, élaboration de situation complexe permettra de décharger la charge potentiellement douloureuse. Ces jeux vont permettre à l’enfant de projeter son monde intérieur sur des objets afin de tenter d’en élaborer quelque chose. Si cela ne peut se faire, cela offrira un terrain d’expansion au symptôme.
Pour ce faire, il est important qu’il y ait une qualité d’accueil de l’environnement et une possibilité de supporter les éprouvés, qui peuvent être violent, de l’enfant. La qualité de l’environnement est ce sur quoi Winnicott a beaucoup insisté et dont il fait la corrélation d’un espace de création possible ou non. La capacité de jouer de l’enfant étant un signe de bonne santé.
Dans le jeu des enfants il est toujours question d’expérimenter différente place afin de pouvoir élaborer des éprouvés complexes. Intégration de la loi, gendarme et voleur. Etre grand et avoir des responsabilités, « on aurait dit que j’étais… ». Prendre soin, jouer à la maman ou au docteur…
Nous sommes là en plein dans la question de la médiation artistique. Son utilisation ayant un intérêt primordial dans l’utilisation d’un objet médiateur. Cet objet peut être très varié, certainement que vos pratiques de médiations artistiques en attesteraient. La question centrale restant celle de l’intervention d’un objet – objet terre, objet théâtre, objet photo, objet cuisine -.
Cet objet il est important d’avoir en tête qu’il va être travaillé s’il est pensé comme un objet substitut, comme dans le jeu de la bobine ou objet transitionnel comme avec Winnicott. Sur cet objet médiateur, et il est médiateur en tant qu’il va médiatiser quelque chose au travers lui, va être projeté tout ce qui concerne la vie psychique interne du sujet : angoisse, agressivité, amour, et cetera. Cette médiation artistique va réactualiser, remettre sur scène ce qu’il a pu se jouer lors des premières relations. Aussi, suivant le registre structurel ce ne sera pas le même travail ou les mêmes enjeux psychiques.
Ce qui est intéressant est que dans l’activité, il y a une visée sur laquelle il est possible de se raccrocher, de s’étayer une objectif commun au groupe. Un objectif autre que celui de dénouer les difficultés individuelles et c’est en cela qu’il est question de médiation. Ce point est très important car il est primordial de ne pas attaquer de front ce qui peut faire souffrance et en cela l’objet médiateur protège le sujet car il décale ! [Comme les jeux des enfants].
Ce que la question de la médiation artistique va venir mettre en scène et si vous entendez cela vous avec entendu le principal c’est la réactivation, qui va pouvoir se travailler avec un professionnel en position de tiers puisque non pris dans ces enjeux propre au sujet, de problématique en lien avec la question de la relation à l’objet et il y a à entendre le mot objet au sens de l’autre, objet support des investissements du sujet. Et donc avec cette question celle de la constitution subjective de l’individu. Car le sujet se constitue dans et par la rencontre avec l’autre. Et bien entendu ceci n’étant pas un long fleuve tranquille, il y a ce qui devrait se passer avec un entourage suffisamment bon, des expériences qui permettent de se construire et la vie tel qu’elle est avec des parents ayant eux-mêmes leurs problématiques, des évènements de vie imprévu et cetera. Aussi y a-t-il des failles plus ou moins importantes dans cette constitution de l’être en référence à ces premières années de vie. Je pense que vous associez certainement à votre champ de pratique et bien entendu quand nous sommes dans cette question du sentiment d’exister, d’être au monde, nous entendons la question de la psychose avec justement les attaques de ce sentiment d’exister.
La réactualisation des premières expériences par le biais de la médiation réactualise les failles individuelles qui sont mises sur le tapis et vont pouvoir être reprises différemment grâce à l’aide de la médiation et en présence d’un professionnel. Donc votre positionnement, votre écoute et votre disponibilité vont être primordiaux dans ce travail avec l’outil qu’est la médiation artistique.
C’est ici que résidera toute la différence entre de l’occupationnel, faire faire quelque chose à quelqu’un pour l’occuper, qu’il ne traine pas dans les couloirs. On sait combien ça gène de voir des patients dans des couloirs à ne rien faire. Ca gène par rapport à l’image que ça donne du lieu de soin donc où il faut soigner et ne pas laisser trainer.
Et bien c’est très bien d’accueillir le fait que ça trainer dans des couloirs. Ca fait partie d’un lieu de vie qu’il y ait des personnes qui trainent. Et prendre le temps de réfléchir à ce qu’on va proposer à un patient et de se rendre disponible, pour la rencontre, de ce qu’il va mettre sur la scène du travail et de comment il va être possible de l’accompagner pour faire l’expérience de pouvoir s’investir dans une rencontre.
[1] Freud S., Formulation sur les deux principes de l’advenir psychique, 1910.
[2] Lorsque Freud dans » Au-delà du Principe de Plaisir » rapporte les séquences de ce qu’il observe là, c’est à partir d’une question de fond : qu’est-ce que cette force, cette pulsion qui pousse à reproduire un événement désagréable, voire traumatique, comme pour en retrouver exactement les coordonnées de déplaisir ? Il donnera, comme on le sait à cette pulsion le nom de pulsion de mort et ce qui se trouve au-delà du champ régi par le principe de plaisir, trouvera son nom plus tard, celui de jouissance.