La sublimation dans la métapsychologie freudienne.

 

 

Dans les dictionnaires, on trouve le terme de sublimation associé à deux définitions. La sublimation est la transformation directe d’un solide en gaz. Ou, il s’agit de l’action d’élever jusqu’au sublime. Dans ces deux cas, il semble que la sublimation soit un procédé entraînant une modification de l’état initial. La première définition semble signer la modification de l’objet lui-même, alors que la deuxième met l’accent sur une action qui aurait pour but d’élever l’objet. Ce terme de sublimation, traduit de l’allemand, a été choisi pour nommer un procédé psychique particulier. Nous tenterons de mieux appréhender la définition qu’il revêt dans le cadre psychanalytique.   

 

 

La métapsychologie freudienne s’articule selon trois points de vue, topique, dynamique et économique. Sur cette assise métapsychologique, Freud va tenter de rendre compte, au travers de  différents écrits, de cette notion de sublimation. Il convient de commencer par préciser que ce terme est une tentative de rendre compte de l’utilisation de l’énergie pulsionnelle pour d’autres buts que la satisfaction sexuelle. Ces buts étant socialement reconnus. Peut-on entendre ici un procédé de transformation, de la libido, pour transformer un destin, sexuel, vers un destin élevé jusqu’au sublime ? Au-delà de cette première considération, cette notion de sublimation a évolué avec la métapsychologie freudienne et notamment la seconde topique. Nous tenterons de suivre succinctement le cheminement de la pensée freudienne concernant cette notion de sublimation. 

 

 

En 1909, dans ‘De la psychanalyse’, Freud dit de la sublimation que c’est un processus par lequel « l’énergie de motions de souhait infantiles ne se voit pas barrer la route, mais reste au contraire exploitable, un but plus élevé, qui n’est éventuellement plus sexuel, étant assigné à chacune des motions, au lieu du but inutilisable »[1].  Avec Le souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Freud sera encore plus précis concernant la sublimation. « Quand la période de la recherche sexuelle infantile s’est conclue par une vague de refoulement sexuel énergique, il en découle pour le destin ultérieur de la pulsion de recherche trois possibilités distinctes, provenant de sa connexion précoce avec des intérêts sexuels. […] Le troisième type, le plus rare et le plus parfait, échappe, en vertu d’une prédisposition particulière, à l’inhibition de pensée, tout comme à la contrainte de pensée névrotique. [Les deux autres formes de destins de la pulsion] Le refoulement sexuel intervient certes ici également, mais il ne réussit pas à renvoyer dans l’inconscient une pulsion partielle du plaisir-désir sexuel ; au contraire, la libido se soustrait au destin du refoulement en se sublimant dès le début en désir de savoir et en se rangeant comme un renfort aux côtés de la vigoureuse pulsion de recherche. Ici encore faire des recherches devient dans une certaine mesure contrainte, et substitut de l’activité sexuelle, mais, par suite de la nature tout à fait distincte des procès psychiques de base (sublimation au lieu de la percée hors de l’inconscient), le caractère de névrose reste absent, l’assujettissement aux complexes originels de la recherche sexuelle infantile fait défaut, et la pulsion peut s’exercer librement au service de l’intérêt intellectuel. Du refoulement sexuel, qui l’a rendue si forte par l’apport de libido sublimée, elle tient encore compte en évitant de s’occuper de thèmes sexuels »[2].

 

Freud donne ici une définition de la sublimation comme d’un destin particulier de la pulsion, qui a lieu dès le début, dans sa forme la plus parfaite. Dès lors, l’énergie pulsionnelle est utilisée à d’autre fin que sexuel et se met au service du désir de savoir, s’associant à la pulsion de recherche. Le refoulement de la sexualité infantile prégénitale ne concerne que l’aspect sexuel mais pas l’énergie. Cette dernière continue d’être utilisée mais pour d’autres buts que sexuel. Qu’en est-il alors de la sexualité adulte. Dans le cas le plus parfait que semble donner Freud, celui de Léonard De Vinci, la vie adulte est exempte de toute vie sexuelle. L’énergie pulsionnelle étant utilisée pour d’autres buts, elle est sublimée.   

 

 

Dans le moi et le ça, 1923, Freud revient sur la question de la sublimation. « La transposition de la libido d’objet en libido narcissique, qui se produit ici, comporte manifestement un abandon des buts sexuels, une désexualisation, donc une espèce de sublimation. Et même une question surgit qui mérite d’être traitée à fond : n’est-ce pas là la voie générale de la sublimation, toute sublimation ne se produit-elle pas par l’intermédiaire du moi qui commence par transformer la libido d’objet sexuelle en libido narcissique, pour lui assigner éventuellement ensuite un autre but ? Cette transformation ne peut-elle pas avoir comme conséquence d’autres destins pulsionnels, par exemple entraîner une désunion des différentes pulsions fondues ensemble ? »[3].

 

Avec la seconde topique, Freud va remanier le concept de sublimation. Tout d’abord, la sublimation n’est plus seulement une déviation de la libido vers des buts valorisés socialement. Freud parle là de « désexualisation » de la libido. La libido sexuelle serait reprise dans le moi, devenant libido narcissique désexualisée. D’autres buts ou non peuvent alors être assignés à cette libido. Mais ce qui va nous intéresser tout particulièrement, c’est cette question d’une possible désunion des pulsions dont Freud fait l’hypothèse. Freud écrira qu’« en s’emparant ainsi de la libido des investissements d’objet, en s’imposant comme seul et unique objet d’amour, en désexualisant ou en sublimant la libido du ça, le moi travaille à l’encontre des desseins de l’Eros et se met au service des motions pulsionnelles adverses »[4].  

 

Freud attribue le « bruit de la vie » à l’Eros. Cette dernière attribue de nouvelles tensions par le biais des pulsions sexuelles. Le ça tente de répondre aux exigences de la libido sexuelle pour répondre au principe de plaisir et l’évitement du déplaisir. Mais Freud lui-même dit que si le principe de constance domine alors il y a un glissement vers la mort. 

 

 

Dans Totem et tabou, Freud fait un parallèle entre « les stades de développement de la vision de l’humanité » et « les stades de développement libidinal de l’individu ». Il fait correspondre la phase animiste au narcissisme, la phase religieuse à la trouvaille de l’objet (parent dans un premier temps) et la phase scientifique au renoncement au principe de plaisir et adaptation à la réalité en cherchant son objet dans le monde extérieur. Chacune de ces étapes étant caractérisée par un renoncement de mode de satisfaction libidinal. « C’est seulement dans l’art qu’il arrive encore qu’un être humain, dévoré de souhaits, fasse quelque chose qui ressemble à la satisfaction et que cette activité de jeu-grâce à l’illusion artistique- provoque des effets d’affects comme s’il s’agissait de quelque chose de réel » [5].

 

La sublimation est une voie de satisfaction, prenant en considération les interdits, mais s’inscrivant dans une recherche de la satisfaction renvoyant aux toutes premières expériences de satisfaction. Il s’agirait en d’autres termes du travail du moi pour accéder de manière indirect à une représentation puis une création d’objet permettant la satisfaction et ce, par une transformation de la pulsion.

 

 

 

 

 

[1] Freud S., Œuvres complètes de Freud tome X, De la psychanalyse, 1909, édition Presses Universitaires de France, page 54.

[2] Freud S., Œuvres complètes de Freud tome X, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1910, édition Presses Universitaires de France, page105.

[3] Freud S., Essai de psychanalyse, édition Payot, 1981 ; « Le moi et le ça », 1923 page 270.

[4] S. Freud, Essai de psychanalyse, édition Payot, 1981 ; « Le moi et le ça », 1923 page 288.

[5] Freud S., Œuvres complètes de Freud tome XI, Totem et tabou, 1912-1913, édition Presses Universitaires de France, page 300.