L’intervention en atelier de parole et la question du désir : quand la prévention se noue à la parole.

 

 

Les exposés d’été sont l’occasion de pouvoir tenter d’élaborer ce qui a pu nous mettre au travail dans notre pratique. Aussi ai-je choisi de tenter de revenir sur cette question de la parole, dans le champ des ateliers proposés par l’association, et finalement cela m’a fait revenir sur la prévention puisque c’est dans ce champ opératoire qu’ont lieu les rencontres avec les adolescents. Nous avons eu plusieurs exposés sur ce thème avec les nouvelles candidatures et je suis allée relire ce que j’avais proposé pendant le processus de ma propre formation au sein de l’association Arcréation-Mot de Passe.

 

Je vais citer certains passages :

 

« Nous sommes mis à une place d’adulte proposant un espace autre que celui habituellement proposé, au sein de leur établissement. Les adolescents vont alors pouvoir se saisir de cela pour se mettre au travail et déployer leur parole et leur élaboration sur un thème proposé, au sein de ce groupe. Lors de ces ateliers, le rôle du clinicien s’apparente davantage à un rôle contenant et étayant pour permettre à chacun une possibilité de se saisir de ce dispositif afin que la parole puisse émerger. » Et plus loin, « la question de la parole qui peut être livrée au sein de ce groupe me pose encore question. Le clinicien peut-il tout entendre dans ce cadre ou doit-il limiter la parole dans certains cas, trop intimes par exemple ».

Je cite ce passage de mon écrit car c’est ce qui a été travaillé cette année et qui m’avait déjà mise au travail précédemment. Ce rôle d’intervenant induit de se positionner entre ce qui serait de l’ordre de l’intime et du partageable en groupe pour que le travail soit possible et que l’être ne soit pas malmené par cette proposition d’atelier. La pratique auprès des adolescents a donc répondu à ma question. 

D’ailleurs lorsque la situation apparaît trop centrée sur un individu nous tentons de décaler pour qu’une parole plus générale et justement éclairant de nouvelles voies puisse émerger et qu’une prise de recul puisse être possible pour que l’être ne soit pas immergé dans les mailles de l’imaginaire mais qu’un tissage au symbolique puisse se faire. C’est justement ce en quoi la parole permet de faire prévention me semble-t-il, par ce « pas de côté », expression importante au sein de l’association.

 

Aussi, même si bien sûr, le cadre psychanalytique n’est pas le même que celui des ateliers de parole, la psychanalyse est la référence des intervenants de l’association. Dans le champ psychanalytique nous n’opérons pas directement sur le symptôme mais dans la cure il y a des effets sur les symptômes. Cela fait écho, je trouve, avec le fait que dans les ateliers de parole nous n’opérons pas directement sur les thèmes de prévention, en les choisissant par exemple. Ce sont les adolescents qui proposent les thèmes. Nous ne parlons pas à la place des adolescents (comme dans la cure où nous laissons l’être déplier ses signifiants) et ils ne parlent pas les uns à la place des autres.

Dans l’association, ce que j’avais tiré lors de mon premier exposé était ce que l’association écrivait concernant la prévention, à savoir qu’il s’agit de « la prévention de la souffrance psychique et la prévention de conduites à risques liées notamment à la traversée critique de la puberté et de la crise d’adolescence ». Bien sûr les éléments signes de souffrance sont à différencier des autres éléments liés à cet âge.

La souffrance peut être présente mais nous n’opérons pas sur ce levier en leurs demandant ce qui les fait souffrir puisque nous ne sommes pas dans le champ thérapeutique et que nous ne nous rencontrons pas par le biais de leur demande. Les adolescents n’ont pas à mettre en mots ce qui fait souffrance pour eux, l’invitation à la parole se fait sur une thématique de santé ou de société, pour travailler en groupe sur le thème. Comme je l’ai dit plus haut, l’expérience en atelier de parole m’a fait entendre combien il est important, dans ce cadre, de garder ce cap du partageable et non de l’intime, sans verrouiller la parole mais en parlant soi-même davantage quand cela est nécessaire pour contenir précisément.

 

Ce qui est souvent questionné que ce soit lors des bilans par les adultes ou pendant le temps des ateliers avec les adolescents est pourquoi ce n’est pas l’intervenant qui donne un thème mais les adolescents et pourquoi pas un thème pour tous mais chacun un thème ?

Il me semble qu’ici réside le point important des ateliers à savoir le fait que chaque être est porteur de sa parole et ce que Lacan nous enseigne avec la parole c’est quelle recèle en son sein la question du désir. Nous ne faisons pas verbaliser aux adolescents leur souffrance mais nous les invitons à proposer un thème et c’est important dans ce travail en groupe qu’il en demeure ainsi. C’est à chacun en son nom, de sa place, avec son style de proposer un thème selon son désir, étayé par l’intervenant.

Et bien c’est dans cette expérience de la parole subjective que se noue une forme de prévention et qu’il y a un pont important avec la psychanalyse. Dans son séminaire sur l’angoisse daté du 23 janvier 1963, Lacan témoigne de cette dimension :  

 

« Je voudrais faire remarquer ici qu’un certain côté qu’on ne voit pas de l’analyse, son côté assurance-accident, assurance-maladie […] combien les maladies de courte durée sont rares pendant les analyses, combien dans une analyse qui se prolonge un peu, les rhumes, les grippes, tout ça s’efface, et même quant aux maladies de longue durée, s’il y avait plus d’analyses dans la société, on irait mieux. Je pense que les assurances sociales comme les assurances sur la vie devraient tenir compte de la proportion d’analyses dans la population pour modifier leur tarif ».

 

L’être grâce à sa parole devient responsable de son désir et cela produit des effets sur sa santé. Il y a quelque chose des prémices de cette expérience avec l’atelier de parole. La rencontre avec l’intervenant mais aussi rencontre avec sa propre parole qui est une expérience inédite pour beaucoup, comme ils en témoignent.

 

Dans un atelier de parole avec un groupe de garçons de seconde, l’un des participants a choisi la santé comme thème et j’ai noté. Il a introduit son thème en disant que c’est l’éducation qui permet de savoir prendre soin de soi, les adultes enseignent aux enfants comment faire pour prendre soin d’eux-mêmes. D’autres de dire comment faire quand les parents ont pas le temps, ne sont pas là ou ne le font pas, parce que ça existe. Et oui, ces jeunes gens disent bien. Cela peut s’apprendre de prendre soin de soi et la parole est une voie qui y mène, comme en témoignent les psychanalysants.

La parole dite par un être peut lui permettre de devenir ami de son désir et ne plus être mué par l’agressivité ou la haine inhérente à chaque Homme, comme cela est travaillé dans certains groupes en atelier de parole. C’est le désir étouffé, aliéné qui mène vers la voie de l’agressivité comme Lacan l’a mis en avant en reprenant les écrits freudiens. C’est ce qu’il nomme cette voie de l’imaginaire, cette tension de la relation à l’autre. Une lutte imaginaire qui peut mener vers la destruction et la période de l’adolescence en est un moment criant. Parler peut permettre de s’inscrire autrement que dans cette lutte et de se décaler de la relation imaginaire (comme je l’avais déjà déplié concernant l’atelier de parole dans un précédent exposé). C’est une rencontre avec cette possibilité qu’offrent les ateliers de parole selon moi et qui font qu’ils ont une place importante, il me semble, par rapport à ce champ qu’est la prévention.

 

 

Ce retour à ce signifiant prévention je dois préciser qu’il s’inscrit en écho d’un retour fait lors de la synthèse de fin d’année 2013 par Mme Eschapasse, qui a éveillé quelque chose qui s’est élaboré progressivement pour moi et que je tente de retranscrire ici pour clore ce travail. Pour resituer j’avais fait part d’une situation au collectif où un groupe de garçons était arrivé une heure et quart après le début de la première séance de l’atelier de parole. J’avais fait le choix de ne pas les accueillir et souhaitais parler de ce point en équipe, en nommant la question du désir. Mme Eschapasse a repris en disant que nous étions dans le champ de la prévention et pas le champ thérapeutique donc que ce n’est pas avec le désir que l’on travaille mais que nous avons à accueillir chacun. Je cite de mémoire donc vu qu’il s’agit de ma mémoire, il y a peut-être modification mais c’est cela qui m’est resté.

 

Le désir des adolescents, notre travail est, je pense, de tenter d’en prendre soin et cela s’inscrit dans le champ de la prévention. Désormais, j’entends autrement cette phrase de fin d’année, qui avait sonnée comme on ne travail pas avec le désir dans le champ de la prévention contrairement au champ thérapeutique, ce qui va à l’encontre de tout ce que j’ai exposé précédemment. En effet, on ne travaille pas avec le désir dans le sens où les adolescents n’ont pas le choix de venir ou pas selon leur désir car ils sont attendus et de cette contrainte nous travaillons ensuite. Donc finalement cette phrase qui avait retenti comme on ne travaille pas avec le désir dans le champ de la prévention m’a questionnée sur mon désir à moi. Une fois que j’ai identifié que c’est mon désir que je questionnais et qu’il se portait peut-être ailleurs, j’y ai entendu que si les adolescents ne sont pas désirant de venir à l’atelier de parole nous, nous avons à l’être. C’est notre désir qui permet la créativité dans les ateliers et de souffler sur les braises de leur désir d’être là. Si le protocole est important il me paraît indispensable de pouvoir y inscrire notre propre style pour que la rencontre puisse avoir lieu. J’ai donc identifié que mon désir se portait désormais ailleurs par le signe de cet affaiblissement de ma créativité d’où ma décision de ponctuer. La poursuite du travail a donc été plus sereine ensuite et cela notamment parce que j’apprécie le travail au sein de l’association et y suis tout de même un peu désirante de cette expérience de rencontre avec les adolescents dans ce cadre de la prévention. Mais ce un peu désirante ne suffit pas car dans le travail de clinicien, peu importe le champ, je considère que ce n’est pas possible d’y être à moitié ou timidement.